Monsieur le Président,
Je reprends la plume parce que les mots ont toujours été mes armes et que me taire aujourd’hui serait synonyme de défaite. Or, je ne peux pas perdre. Je ne peux pas perdre car
ce n’est pas un jeu. Ce n’est pas non plus une question de confort personnel, d’idéologie abstraite et anticonformiste.
C’est le choix d’une vie, le choix de notre vie. Un choix mûrement réfléchi, conscient et posé.
J’ai parfois l’impression que ni vous, ni votre équipe ne prenez la mesure de ce que cette décision d’interdire prochainement l’instruction en famille signifie réellement pour
les milliers de famille qui avons fait ce choix, par conviction ou par obligation, pour nous, parents, enfants, citoyens, vos concitoyens. Laissez-moi vous l’expliquer en vous
racontant une fois de plus MON instruction en famille. Peut-être pourrez-vous ainsi mettre un visage sur ceux que vous ne connaissez finalement pas et nous considérer avec un
peu moins de désinvolture que vous ne semblez le faire actuellement.
Je n’ai pas choisi de vivre l’instruction en famille sur un coup de tête, un soir, entre le fromage et le dessert. Ce n’est ni une marotte, ni une tentative désespérée de
garder mes enfants sous mon sein le plus longtemps possible, en mode mère hélicoptère qui chercherait à vivre à travers sa progéniture. Je ne me sens pas particulièrement
anxieuse pour eux, je n’ai pas de difficultés à les faire garder par d’autres personnes que moi, ni à les laisser faire leurs propres découvertes par eux-mêmes. Nous sommes,
eux et moi, insérés socialement dans notre environnement de vie et nous vivons régulièrement des expériences enrichissantes les uns sans les autres.
Mais c’est vrai que leur vie quotidienne est différente de celle des enfants scolarisés : ils ont la chance d’avoir du
temps. Du temps pour eux, pour développer leurs activités sans être épuisés après une journée d’école, pour créer une vraie relation de confiance et d’amour
avec leurs grands-parents qu’ils peuvent voir aussi souvent qu’ils le désirent, pour apprendre à leur rythme sans overdose à force d’être gavés ou saoulés par des informations
qui continuent de tomber alors qu’ils ne rêvent que d’aller se dégourdir les jambes. Du temps pour découvrir le monde tel qu’il est réellement et non tel qu’on peut l’imaginer
entre les quatre murs d’une école parce que leurs apprentissages sont individualisés et donc efficaces. Et du temps pour vivre de manière équilibrée et saine, pour répondre
aux besoins physiologiques de leur corps.
Il existe un syndrome nommé le déficit de nature et théorisé par Richard Louv qui développe les conséquences néfastes sur l’organisme humain, et notamment sur
celui des enfants, de la sédentarisation et du manque de temps passé à jouer dehors, dans la nature : aggravation des cas de myopies, diminution de la masse musculaire et de
la qualité osseuse par rapport aux générations précédentes, appauvrissement sensoriel de l’environnement de jeux des tout-petits. Je n’ai pas d’étude à grande échelle à vous
fournir à ce sujet, mais je suis intimement persuadée que ce syndrome n’est pas répandu chez les enfants en instruction en famille, loin s’en faut.
La vie moderne telle qu’elle existe aujourd’hui, avec son rythme effréné et ses stimuli incessants n’est pas adaptée à l’être humain. Les maladies dites de société explosent,
les gens cherchent sans cesse des substituts auxquels se raccrocher pour continuer à avancer. Je ne préconise pas pour autant de vivre en marge de la société mais je ne
comprends pas pourquoi vous cherchez à nous empêcher de proposer autre chose à nos enfants, une version plus douce, plus light, plus conforme à leurs besoins de cette société
pourtant si dysfonctionnelle en bien des points.
J’ai fait le choix de l’instruction en famille pour toutes ces raisons mais aussi par envie de prendre le temps de les voir grandir. J’ai toujours envisagé mon rôle de
mère dans l’inclusion et non dans l’exclusion, dans l’unité et non dans l’opposition, dans la simplicité et non dans la complexité. Mettre mes enfants à l’école sans
leur consentement impliquerait de redéfinir complètement ce rôle, alors même qu’il nous convient parfaitement tel qu’il est aujourd’hui. Encore une fois, cette obligation de
scolarisation ne peut être comparé à un petit désagrément sans grande conséquence. Et balayer d’un revers de la main ce tsunami comme le font actuellement vos équipes
ministérielles en reconnaissant que certaines familles font du bon travail mais que cela n’a pas d’incidence sur le projet de loi à venir est extrêmement irrespectueux et
dénote un manque d’empathie peu compatible avec les valeurs de la république que vous mettez en avant et qui vous semblent si chères.
J’aimerais d’ailleurs m’y arrêter quelques instants. Associer l’obligation de scolarité avec la loi sur la laïcité laisse penser que les valeurs de la république ne peuvent
être enseignées de manière appropriée en dehors de l’école. Laissez-moi vous exprimer mon profond étonnement face à cette idée. Je suis moi-même un pur produit de l’école de
la république. J’y ai passé 23 ans, je pense donc pouvoir dire que j’en ai une certaine expérience. J’y suis même retournée de manière sporadique de l’autre côté de la
barrière. Or vous me refusez aujourd’hui les capacités d’enseigner ces valeurs républicaines à mes enfants. J’y vois deux possibilités : soit je n’en suis pas capable, mais
alors la responsabilité de cette incompétence en incomberait logiquement à l’éducation nationale, soit je suis parfaitement apte à le faire et votre amalgame est sans
fondement. A observer mes enfants, qui connaissent et respectent les institutions et les symboles républicains, chantent la Marseillaise, et ne peuvent être accusés de
manquement à la laïcité en raison de leur inintérêt actuel pour le fait religieux, j’ai tendance à opter pour la deuxième solution.
Vous semblez en outre persuadé que l’école est une solution adaptée à tous les enfants. Je dois avouer que cette affirmation me laisse coi. Faites-vous fi de tous ces parents
qui affirment qu’ils se sont tournés vers l’instruction en famille parce que leurs enfants dépérissaient au sein de l’institution scolaire, qu’ils étaient malades le matin à
l’idée de devoir y retourner, qu’ils devenaient instables, agressifs ou dépressifs au fil des mois, des années, et qu’ils sont redevenus des enfants heureux et bien dans leur
peau après quelques mois d’instruction en famille ? Que répondez-vous aux familles qui vous expliquent que leurs enfants ont besoin d’apprentissages adaptés totalement
incompatibles avec des classes de 20 ou 30 élèves ? Qu’il est impossible de créer de la qualité dans la masse ? Actuellement, la seule réponse qu’ils obtiennent est qu’ils
pourront éventuellement voir un médecin scolaire pour espérer avoir une dérogation. Mais connaissez-vous le parcours du combattant pour obtenir la reconnaissance d’un trouble
cognitif, d’une neuroatypie ou d’une phobie scolaire ? Trouvez-vous réellement normal que les personnes qui connaissent le mieux leur enfant soient écartées du processus
décisionnel concernant leur instruction ? Et que répondez-vous aux professeurs, pierre angulaire du système scolaire, qui sortent leurs propres enfants de celui-ci pour
pratiquer l’école à la maison ? Qu’eux aussi se trompent, que l’école est bonne pour tous ?
Vous nous proposez également à demi-mots de créer des écoles hors-contrat pour y mettre nos enfants. Vous n’êtes toutefois certainement pas sans savoir que créer une école est
un véritable parcours du combattant, notamment pour trouver des locaux aux normes, et que les frais de ces écoles sont loin d’être accessibles à tous. Pourquoi vouloir
compliquer une situation qui fonctionne pourtant très bien ?
Ce qui se joue derrière votre projet de loi, c’est en réalité la vraie question de la place de l’état, de l’ingérence de celui-ci dans la vie privée de chacun, du
droit à éduquer et à instruire comme nous l’entendons. De ce droit qui a pourtant valeur constitutionnelle dans notre pays et que vous semblez ne pas vouloir
reconnaître. C’est pourtant loin d’être une question anodine et elle ne peut être décidée de manière unilatérale sans concertation préalable avec les principaux intéressés.
L’instruction en famille est pourtant actuellement une pratique très bien encadrée, l’arsenal législatif nécessaire à la protection des enfants instruits en famille existe
déjà depuis de nombreuses années et est parfaitement adapté. Des contrôles réguliers sont mis en place, des sanctions sont prévues en cas de manquement à ceux-ci. Si certains
parviennent à contrevenir au système, ils sont hors-la-loi. En quoi modifier la loi en la renforçant les feront se mettre à la respecter ? Et combien sont-ils réellement, ces
enfants qui seraient en danger en n(allant pas à l’école ? Vous ne nous avez pour l’instant fourni aucun chiffre. Comment baser un tel changement sociétal sur une vague
impression, alors même que vous semblez ne pas connaître le sujet en profondeur ?
J’aimerais pour terminer revenir sur un point. Le monde qui s’ouvre à nous change à une vitesse telle que nous aurons besoin de profils riches et variés pour répondre aux
grands défis écologiques, économiques, sociétaux qui s’annoncent. Le modèle actuel doit évoluer, il n’est pas pérenne, la majorité des experts s’accordent sur ce point. Est-ce
selon vous la conformité de la nouvelle génération qui nous sauvera ou au contraire son originalité ? Avons-nous réellement besoin d’individus interchangeables ou au
contraire, de personnes avec des bagages et des histoires hétéroclites ? Les universités américaines l’ont bien compris, elles recherchent régulièrement des étudiants ayant
connu l’instruction en famille pour leurs capacités de travail en autonomie, leur curiosité, leur motivation et leur culture générale. Pourquoi ce qui semble attractif de
l’autre côté de l’Atlantique est-il considéré comme aberrant et néfaste de ce côté-ci, sans la moindre explication ni réflexion approfondie sur le sujet avec les associations
et les familles concernées ?
Nous vivons dans une société où tout est devenu noir ou blanc, où les individus prennent position de manière abrupte sur des sujets qui sont pourtant d’une complexité infinie
et dont ils ne connaissent pas le dixième. Il faut choisir son camp et le défendre becs et ongles pour montrer son pouvoir, sa supériorité sur le groupe d’en face, avec des
arguments à l’emporte-pièces qui font mouches plus par leur forme que par leur fond. Nous passons notre temps à nous insulter sur les réseaux sociaux, persuadés d’avoir la
science infuse et de connaître LA vérité. Mais depuis quand cette vérité existe-t-elle ? Toute personne un peu férue d’histoire et de sciences ne peut prétendre à une vérité
absolue détachée de tout caractère culturel et temporel. Où sont les vrais débats d’idées, les réflexions plus poussées sur le monde, au cours desquels les arguments opposés
peuvent être entendus sans jugement péremptoire ni dérision ? Le monde est paradoxal: il gagne en tolérance sur certaines sujets mais en perd sur d’autres. Pourquoi ? Je ne
saurais le dire. Un besoin de repli sur nos croyances par peur de l’inconnu peut-être, par besoin sécuritaire.
Moi, je rêve d’un monde respectueux d’autrui, tolérant et ouvert d’esprit, où tous pourraient trouver leur place sans que les autres n’y trouvent ombrage. Cette vision est
certainement utopique mais cela ne m’empêche pas d’y contribuer à mon niveau. J’ai choisi l’instruction en famille pour y parvenir parce que je suis persuadée que ce mode de
vie est celui-ci qui convient le mieux à mes enfants aujourd’hui. Tout ce que je demande, c’est de pouvoir continuer à vivre selon ces valeurs aussi longtemps que j’en
éprouverai le besoin. Cessez de projeter vos peurs sur mon mode de vie sans le connaître. Rencontrez des familles d’enfants non scolarisés, des adultes ayant connu cette
liberté enfants, discutez avec eux, écoutez-les sans les juger. Vous verrez, ils gagnent à être connus et vous serez certainement surpris.
Respectons la liberté d’instruction, elle est un droit fondamental qui se doit d’être défendue.
Merci.
Si vous voulez soutenir ce droit, signez cette pétition. Elle permet de donner du poids aux associations qui se battent avec acharnement pour le défendre, pour défendre
cette porte de sortie salutaire pour de si nombreux enfants qu’on entend sacrifier au nom d’une conception biaisée de l’enfance et de l’état.
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