Je voulais revenir encore une fois sur ce reproche qui revient sans cesse lorsqu’on parle de parentalité corespectueuse :
« ça ne marche pas ton truc ! ».
Cette phrase se décline généralement lorsque nos enfants sont particulièrement turbulents ou lorsque le parent en face est épuisé à force de lutter pour parvenir à atteindre son idéal de vie de famille.
Je l’entends aussi parfois, mais dans une moindre mesure, en naturopathie, lorsque des personnes plutôt au fait des principes de l’alimentation hypotoxique et qui font attention à leur hygiène de vie depuis longtemps tombent malades.
Que répondre à cela ? Est-ce vrai que cela ne marche pas ? Et si oui, pourquoi ?
Je vais vous faire une réponse de normand : c’est en partie vrai, mais également en partie faux. En réalité, le problème vient du fait que les attentes posées envers ces deux pratiques: la parentalité bienveillante et la naturopathie, sont irréalistes. Ce ne sont pas des méthodes toutes faites à appliquer pour parvenir à un but prédéfini. Certes, elles utilisent toutes les deux un certain nombre d’outils dans lesquels il est possible de piocher au besoin pour se sentir mieux et pour embellir sa relation aux autres et à soi. Elles ne sont cependant pas que cela. Elles sont bien plus et bien moins que cela. Ni des méthodes miracles qui garantissent une réussite à 100 % à ceux qui les embrassent, ni une simple liste de cases à cocher.
Ce sont des philosophies, des manières de voir la vie, de se positionner par rapport à notre environnement. Pour moi qui allie les deux au quotidien, dans ma vie privée et personnelle, cela va même plus loin. C’est un seul et unique art de vivre: deux facettes d’un même cube dont les autres faces pourrait par exemple être l’écologie, l’humanisme, le respect et la liberté. A chacun d’y mettre ce qui lui plaît.
Ce paradigme étant posé, utiliser la parentalité positive comme une manière de parvenir à ses fins ne peut que finir par être décevant. Si vous avez la chance d’avoir des enfants avec une belle force de vie, avec du caractère et qui savent ce qu’ils veulent, il y a forcément des moments où leur expliquer vos besoins et le pourquoi du comment de vos décisions ne suffira pas. Il y a des moments où, même en accompagnant au mieux les émotions de votre tout petit et en cherchant toutes les causes éventuelles, il faudra vous rendre à l’évidence : votre petit dernier et le sommeil, c’est compliqué. Ou bien où vous aurez tout fait comme vous deviez, lu des dizaines de livres, participé à plusieurs conférences, et où vous devrez accepter que votre enfant a un réservoir affectif troué qui ne cesse de se vider plus rapidement qu’il ne se remplit.
Pourquoi ?
Et bien, tout d’abord parce qu’il est impossible de tout contrôler. La vie a une telle diversité et complexité que nous devons accepter des influences sur lesquelles nous n’avons pas de prise. Et heureusement ! Ce sont ces interactions innombrables qui font sa richesse et son immense capacité créative. Et L'humain est trop complexe pour être schématisé par un rapport de cause-conséquence.
Ensuite, parce que tout cela n’est finalement qu’une question de probabilités.
Lorsque vous écoutez systématiquement les émotions de votre enfant, sans jugement et avec empathie, vous ne garantissez pas qu’il sera bien dans sa peau en grandissant. Il y a tellement d’autres paramètres à prendre en compte que cela ne suffira pas forcément : cela va de carences éventuelles lors de votre grossesse à un instituteur acerbe. Vous augmentez seulement la probabilité qu’il soit bien dans sa peau.
De même si vous consommez régulièrement de grandes quantités de légumes et peu de sucres, rien ne certifie que n’aurez pas un cancer à 60 ans mais vous diminuez fortement la possibilité d’en avoir un. C’est une question d’épigénétique. Nous naissons avec des prédispositions génétiques dues à notre capital chromosomique. Des prédispositions à être craintif, à aimer les fraises ou à déclencher une maladie d’Alzheimer. Nous gardons néanmoins une part de contrôle sur la probabilité que ces prédispositions se transforment ou non en réalité. Nous pouvons agir sur les éléments déclencheurs qui feront que nous tomberons malades ou en dépression par exemple. C’est l’éternel débat entre l’inné et l’acquis, entre la génétique et l’expérience.
Dans certains domaines, nous n’avons pas de difficultés à accepter ce principe de probabilités : nous comprenons qu’il est possible de mourir en attachant sa ceinture de sécurité ou de se blesser en faisant de l’escalade, même en utilisant les précautions nécessaires.
Dans d’autres domaines toutefois, nous sommes plus exigeants. C’est notamment le cas en parentalité. Peut-être parce que l’enjeu est si grand, parce que nous mettons tant d’espoir et de pression sur nos enfants, ainsi que dans notre rôle de parent. Je ne sais pas. Quoiqu’il en soit, nous sommes nombreux à attendre des résultats rapides et efficaces alors même qu’il n’y a finalement aucune raison valable pour cela.
Il n’est pas toujours aisé de rester ancrer dans ses bottes et ses convictions lorsqu’elles vont à l’encontre des valeurs majoritaires de la société. De ne pas se laisser déstabiliser par des anicroches régulières lorsque nous manquons de preuves récurrentes que notre attitude a du sens sur le long terme. Les parents qui choisissent la parentalité corespectueuse le font en général car ils ont une vision différente de l’enfant et remettent en cause la dynamique classique de la famille. Mais ils doivent souvent faire face à des remises en question de leur entourage pouvant les amener à douter de la légitimité de ces valeurs.
Nous avons le devoir d’accompagner nos enfants dans la vie avec respect et empathie, mais nous n’avons pas le droit d’exiger d’eux en retour la même chose. De l’espérer, de le demander, de le rechercher, oui, mais non de l’exiger. Ce n'est pas un droit, c'est une cerise sur un gâteau. Un cadeau bonus en somme. Si nous l'avons, tant mieux, mais s'il n'est pas compris dans la livraison, nous devons l'accepter. Et c’est là que cela devient compliqué pour nous, parents, à assumer sur le long terme. Nous avons en effet une exigence de moyens mais non de résultats. Dans l’industrie, c’est une chance. En parentalité, c’est plutôt le contraire.
La seule solution est de s’armer de patience et de créativité pour s’adapter au mieux à la situation. De savoir remettre en question ses habitudes quotidiennes sans remettre pour autant en question pour autant ses vraies valeurs ; celles qui font que nous sommes ce que nous sommes, pas celles qui nous ont été inculquées. D’accepter la défaite, l’erreur et la difficulté. Et de prendre soin de soi afin de tenir sur la longueur. Car élever un enfant ne se fait pas en un jour. Chacune de nos actions laisse des traces, mais la plupart d’entre elles ne donnera pas lieu à des cicatrices indélébiles.
En conclusion, si vous entendez encore cette phrase : « ça ne marche pas, ton truc ! », répondez tout simplement que cela tombe bien, ce n’est pas fait pour cela. Que vous n’avez pas choisi d’écouter votre enfant pour qu’il devienne sage ou de manger des anti-oxydants pour ne pas tomber malade, mais que vous le faites parce que vous croyez que c’est le chemin qui vous convient, sur lequel vous êtes à votre place. Et que parmi tous les chemins que vous pourriez prendre, c’est celui où vous avez le moins de risque qu’il vous arrive quelque chose de grave.
Bon cheminement!
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