Et le couple?

Dans le monde de l'éducation, il est courant d'opposer deux entités: le monde des enfants et celui des adultes. Elles se recoupent parfois mais sont le plus souvent mises en porte-à-faux et considérées comme antonymes, les besoins de l'une étant généralement antagonistes aux besoins de l'autre.

Il existe toutefois un troisième protagoniste que nous avons parfois tendance à oublier, pris dans la folie du quotidien de parents, notamment de parents en bas âge. C'est le couple. Pas le couple parental qui définit chaque adulte de la famille en fonction de son positionnement par rapport à ses enfants. Mais le couple premier, celui qui est à l'origine même de la création de la dite famille et qui est souvent le parent pauvre du quotidien, celui que l'on oublie, que l'on sert en dernier en se disant que jusque-là, tout va bien. Qu'il suffit de tenir encore un peu et qu'on aura toujours le temps de rafistoler ce qui ne va pas un peu plus tard, quand les enfants auront grandi.

Un couple est toujours bouleversé par l'arrivée d'un enfant, quelles que soient l'intensité et la qualité de ce bouleversement. Il doit se réajuster brutalement à de nouvelles conditions de vie, du jour au lendemain, sans avoir réellement pu se préparer à un tel chamboulement. On a beau avoir lu une dizaine de livres sur la question, en avoir parlé des heures avec son entourage, on est toujours surpris de l'intensité de la révolution intérieure et extérieure produite par la naissance d'un bébé. Car il nous faut alors découvrir dans notre corps et dans notre chair ce que nous ne connaissions jusque-là que de manière théorique et cognitive.

 

Mais ce séisme est-il impacté, d'une manière ou d'une autre, par le choix d'une parentalité respectueuse des besoins de l'enfant? Est-il possible que le maternage proximal et la parentalité bienveillante déstabilisent plus fortement le couple que ne le fait une éducation plus classique?

Le sujet est assez tabou dans le monde de la parentalité bienveillante. On a souvent tendance à éluder la question en la réfutant sans réelle discussion. Certains se sentent même peut-être un peu agressés que l'on puisse envisager une telle possibilité. J'ai toutefois toujours préféré m'entourer d'une belle palette de couleurs plutôt que de noir et blanc. Et ce n'est pas parce que je suis persuadée qu'une approche est idéale pour les enfants, à court et à long terme, parce qu'elle est naturelle et logique, parce qu'elle répond à leur besoin d'attachement et de sécurité, parce qu'elle leur apporte confiance en eux, autonomie et responsabilité, que je pense que cette même approche est également idéale pour les parents ou pour le couple.

 

Quand est-il alors, selon moi? Ma propre expérience ainsi que mes connaissances professionnelles me montrent que le positionnement respectueux du parent vis-à-vis des besoins du ou des enfants renforcent grandement la qualité du lien parent-enfant. La parentalité bienveillante semble donc nettement bénéfique au couple parental sur le long terme. Le fait de passer énormément de temps avec son bébé dès le début de sa vie, de l'allaiter, de dormir avec lui, de le porter au plus proche de soi pour le réconforter, permet de connaître au mieux ses réactions et de réagir le plus rapidement possible à ses éventuels manques. Si le papa parvient à trouver sa place et à construire lui aussi une relation de choix avec son fils ou sa fille - ce que certains ont parfois du mal à faire, par manque de référents masculins adaptés -, celle-ci s'en verra également renforcée. Assister par exemple à une naissance physiologique en soutenant sa compagne de manière active et consciente dans ce magnifique et incroyable chemin qu'est la mise au monde d'un enfant ne procure pas les mêmes sensations d'ouverture et d'empathie qu'une naissance médicalisée en milieu hospitalier potentiellement hostile. Le côté magique de cet événement, la puissance sacrée qui émane de la future mère en plein travail lorsqu'elle ne subit pas celui-ci mais l'accompagne pleinement sans se poser de question, en confiance..., tout cela crée un environnement propice à la création d'une relation unique entre le futur papa et son nouveau-né.

Le couple parental est ainsi souvent consolidé par la parentalité positive, si tenté que les deux partenaires soient sur la même longueur d'onde et souhaitent accompagner leurs enfants selon des valeurs identiques. Ils doivent d'ailleurs parfois faire front face aux critiques et aux craintes de leur entourage et s'ils sont sûrs de leur choix et ne se laissent pas ébranler par les remarques acerbes de la grand-mère ou les chicanes du beau-frère, ils se soutiendront l'un l'autre et s'en trouveront rapprochés dans leur rôle de parents.

 

 

Le couple parental ne se détruit pas, il continue à exister quoiqu'il arrive, même en cas de mort de l'enfant car la présence de celui-ci perdure. Le couple conjugal quant à lui peut se dissoudre un jour et c'est justement ce qui le rend si fragile. Et il ne réagit malheureusement pas du tout de la même manière face au stress engendré par le changement de dynamique familiale. C'est généralement lui qui se retrouve en compétition directe avec les besoins des enfants. Et cette situation peut parfois être très difficile à vivre et à accepter au quotidien. On peut se sentir rejeté, abandonné, mis à l'écart et cela fait généralement ressortir des blessures de l'enfance non résolues qui n'aident pas à relativiser la nouvelle organisation familiale comme une organisation ponctuelle.

Quand une mère de famille passe une heure à endormir le petit dernier au sein, son besoin de contact et de câlin est souvent rempli et elle ne cherchera peut-être pas sur le moment à établir une relation plus charnelle avec son conjoint. De même, quand un père de famille rentre du travail potentiellement fatigué et qu'il passe toute la soirée à écouter les besoins de ses enfants et à leur lire une histoire, il n'aura peut-être qu'une envie, le soir venu, comater devant un bon film avant d'aller se coucher.

Ce n'est pourtant pas l'accompagnement des enfants qui est à remettre en cause: c'est la société actuelle qui est inadaptée à cette approche naturelle et physiologique. Vous connaissez certainement le proverbe africain, si célèbre aujourd'hui: il faut tout un village pour élever un enfant. Le village a disparu il y a bien longtemps. Un couple ne peut plus actuellement prendre de temps pour lui exclusivement qu'en faisant garder son enfant par des gens qu'il ne connaît pas ou que très peu. Le clan familial a rétréci comme peau de chagrin. Les grands-parents ne vivent plus avec les parents et ne peuvent plus servir d'adultes de rechanges. Les amis ne sont pas toujours plus proches de l'enfant, ou alors, ils en ont eux-mêmes et ne peuvent pas prendre en charge les nôtres en plus. Nous retrouvons cette opposition qui dit que pour prendre du temps exclusivement pour soi, le couple doit s'opposer au temps passé avec l'enfant. Voire mettre de côté les besoins propres de l'enfant qui n'est peut-être pas encore prêt à se séparer, même momentanément, de ses parents.

 

Nous ne sommes d'ailleurs plus habitués à faire preuve de patience, à attendre et à accepter de souffrir. Nous avons appris que nous pouvions prendre notre destin en main et faire des choix pour retrouver liberté et joie de vivre. Le bonheur a été élevé au rang de valeur essentielle, à la place de valeurs aujourd'hui plus désuètes que sont le travail et la morale. N'y voyez aucun jugement de ma part, ce n'est qu'une constatation. Nous avons plus tendance actuellement à nous intéresser à nos ressentis, à nos besoins, à nos envies qu'il y a deux ou trois décennies. Et nous ne considérons plus qu'il est égoïste de vivre sa vie comme on l'entend, afin qu'elle nous rende heureux. Cette évolution de la société fragilise elle aussi le couple conjugal qui demande forcément, à un moment donné, patience et mise de côté de ses aspirations profondes le temps que le bateau soit capable de remonter en haut de la vague.

 

 

Pour tenter de sortir de cette quadrature du cercle, une autre image est souvent mise en avant: celle du masque à oxygène dans un avion en détresse. Tout comme il serait nécessaire de toujours mettre son propre masque à oxygène en premier avant d'aider les autres à mettre les leurs, une mère devrait d'abord prendre soin de ses propres besoins avant de prendre en charge ceux des autres, et notamment de ses enfants. Cette idée est souvent mise en avant ces derniers temps pour déculpabiliser les parents de prendre du temps pour eux selon le concept suivant: n'ayez pas mauvaise conscience de vous occuper de vous au détriment des besoins de vos enfants, car si vous ne le faisiez pas, vos enfants en pâtiraient sur le long terme. 

 

Cette théorie est intéressante car elle reprend l'idée du réservoir affectif si chère à la parentalité et généralement utilisé pour décrire la capacité de coopération et de bien-être des enfants en fonction de l'état de leurs besoins pour la transposer aux parents: nous aussi, les parents, nous ne pouvons utiliser notre réservoir affectif que s'il n'est pas complètement vide; nous ne pouvons donner de l'attention, de l'affection, de l'amour à nos enfants que si nous en avons reçu au préalable de notre entourage et de notre environnement. Un parent à plat n'est généralement pas un bon parent.

 

Mais cette théorie du parent first, comme souvent, a aussi son revers: plus l'enfant est petit, plus il lui sera impossible de différer ses besoins, même de manière ponctuelle, sans conséquence éventuelle néfaste sur sa stabilité émotionnelle, sa confiance en l'adulte et donc à terme sur sa propre valeur à ses yeux. Et d'une manière générale, poussés par la société, par ses exigences et ses clichés, ainsi que par l'impétuosité de leurs propres besoins trop longtemps mis de côté, les parents auront souvent tendance à surévaluer la capacité d'autonomie de leurs enfants et à les laisser garder par d'autres alors qu'ils ne sont pas encore prêts psychologiquement et émotionnellement. Bien sûr, à force, les enfants s'habituent à ce que leur besoin de sécurité et d'attachement ne soit pas systématiquement écouté à 100% et ils finissent par ne plus le manifester vers l'extérieur en pleurant. Ils ravalent alors leur stress et apprennent à ne plus exprimer toutes leurs émotions: certaines deviennent plus acceptables, plus audibles et plus présentables que d'autres qui finissent cachées, enfouies au fond de leur amygdale à attendre qu'elles puissent ressortir dans quelques années, soit en s'exprimant à outrance de manière inappropriée, soit sous forme de pathologies psychosomatiques. Il est alors aisé de penser que tout va bien, que les enfants se sont habitués et qu'ils étaient prêts à franchir le cap.

 

 

C'est bien beau tout cela, mais alors que faisons-nous?! Sommes-nous condamnés à mettre en péril notre couple conjugal lorsque nous mettons un point d'honneur à répondre aux besoins de nos enfants? Et devons-nous nous mettre martel en tête parce que la vie nous a obligé à mettre momentanément de côté les besoins de notre progéniture?

 

Je crois que comme toujours, la solution se trouve dans la mesure et dans l'harmonie: si vous restez en empathie avec votre enfant, que vous l'observez pour comprendre ses comportements sans projeter vos croyances et vos peurs sur lui, si vous cherchez toujours à trouver la meilleure solution pour toute votre famille avec créativité, si vous vous respectez en tant que personne digne d'être aimée et appréciée, vous trouverez en vous les solutions qui vous conviennent. Pas du jour au lendemain, vous allez tâtonner, tenter des expériences et en regretter certaines, vous ferez un pas en avant et peut-être trois pas en arrière, mais en fin de compte, vos enfants grandissant, vous parviendrez à équilibrer avec de plus en plus de justesse vos différents rôles familiaux et professionnels si vous gardez le cap. Essayez de reproduire des conditions de vie plus adaptées et plus proches de nos besoins fondamentaux, recréez du lien, cherchez du soutien et entourez-vous, prenez soin de votre santé et de votre alimentation, évitez les pièges de la société de consommation, faites de l'exercice physique, passez du temps dans la nature, revenez à l'essentiel et évitez le superflu, soyez créatifs et repensez les codes de la société pour y intégrer au maximum vos enfants, ne vous laissez pas dicter vos envies par vos proches, reconnectez-vous à votre moi profond... Voici quelques pistes qui pourraient peut-être vous aider.

 

Et en faisant cela, en cherchant vos propres solutions, vous allez forcément égratigner d'une manière ou d'une autre le capital confiance de votre enfant. Non par parce que vous êtes de mauvais parents, mais parce que c'est inévitable. Nous ne venons pas au monde comme des pages blanches, mais nous sommes façonnés par notre histoire familiale, par le stress vécu par notre mère pendant la grossesse, par son état physiologique général et par celui de notre père, certainement même également par une forme de conscience générale collective. Nous sommes condamnés à souffrir, la vie est une succession de peines, de stress, de peurs, de joie... Nous devons renoncer à toute idée de perfection, même en ce qui concerne nos enfants, elle ne nous mènerait à rien car la perfection n'existe pas, elle n'est qu'un mythe. Nous devons accepter que nous faisons parfois malheureusement du mal à nos enfants. Ce qui change tout, c'est le fait d'en avoir conscience et de chercher autant que possible à réduire ces moments en travaillant inlassablement sur soi et sur ses propres blessures, et à accompagner au mieux son enfant en ne minimisant jamais ce qu'il ressent. Il faut voir la relation parent-enfant comme une relation de collaboration équitable où aucun des deux partenaires ne peut prendre l'ascendant sur l'autre, tout en gardant à l'esprit que l'enfant reste plus dépendant et plus fragile que l'adulte et qu'il n'est pas capable d'intellectualiser ses émotions, ni de retarder ses besoins, en raison de son cortex orbito-frontal immature.

 

 

J'ai souvent l'impression qu'un couple en bonne santé, qui communique correctement, qui a des projets communs, trouvera des solutions pour passer à travers la tourmente et l'épuisement inévitable. Tandis qu'un couple créé sur des fondations instables ou pour de mauvaises raisons comme reproduire ou réparer ses blessures d'enfant sera plus fortement impacté par l'arrivée d'un enfant et pourra ne pas s'en remettre. Donc, oui, je crois que la parentalité respectueuse des besoins de l'enfant met en péril le couple conjugal et que ce n'est heureusement absolument pas une fatalité. Mais il est essentiel d'en prendre conscience afin de pouvoir mettre en place des pare-feux - comme l'écoute active, la communication non violente, les journaux émotionnels - et de réagir à temps en cas de difficultés chroniques. Minimiser cet état de fait ne le rendra pas moins critique, bien au contraire. Lorsque l'on sait à quoi s'attendre, on est capable de faire preuve de patience. Mais avancer dans l'inconnu demande une force de caractère bien plus importante et il devient très difficile de ne pas se raccrocher à d'inévitables tentations lorsque l'on n'a aucune idée de l'endroit où l'on va et que l'on désespère de ne jamais trouver la sortie.

 

 

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Certifiée Féna, la Fédération Française des Écoles de Naturopathie

 

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