Dissonance cognitive et parentalité

Avez-vous déjà entendu parlé du principe de dissonance cognitive? Théorie phare de la psychologie sociale créée dans les années cinquante par Leon Festinger, la dissonance cognitive désigne les tensions désagréables qui se développent chez une personne lorsque celle-ci agit à l'encontre de son système de croyances, de valeurs, de pensées. Afin de diminuer l'inconfort et la dissonance qui s'en suit, la personne en question aura alors tendance à modifier ses convictions pour les aligner avec ses actes et ainsi justifier ses comportements qu'elle jugeait pourtant auparavant comme répréhensibles et inadaptés. Cette théorie n'est pas quelque chose de farfelu ou de limiter à une certaine partie de la population, elle peut au contraire s'appliquer à l'être humain dans sa globalité et nous avons tous déjà vécu, de manière plus ou moins inconsciente, son influence.

 

Dans le monde de la parentalité co-respectueuse, la dissonance cognitive a un impact d'autant plus marqué qu'il est souvent très compliqué d'assumer des choix éducatifs parfois si contraires à ce que la société préconise. À force d'entendre des critiques sur notre manière d'accompagner nos enfants, des commentaires désobligeants ou des conseils en tout genre, nous pouvons être amenés à douter ponctuellement de nos valeurs et à tenter autre chose pour faire comme tout le monde. Parce qu'il faut bien l'admettre, il est parfois épuisant de vivre selon ses convictions lorsque celles-ci sont éloignées de celles de la majorité de la population. Nous sommes très tôt confrontés à la réaction suivante de la part de notre entourage: si nos enfants se comportent "correctement" - entendez par là de la manière dont la majorité des adultes attendent que se comporte un enfant dit sage et obéissant -, alors c'est tout simplement parce que ce sont de bons enfants, parce que c'est naturel. Mais s'ils se comportent de manière "incorrecte" - s'ils expriment avec véhémence leurs opinions ou leurs émotions, s'ils sont bruyants, s'ils bougent un peu trop ou s'ils font ce qu'ils ont envie de faire -, alors cette attitude jugée inadaptée par la société est immédiatement mise sur le compte de notre incompétence et du côté soit-disant délétère de notre éducation. Quoique nous fassions, nous en sortons perdants. Et c'est la même chose pour tous les choix jugés comme un tant soit peu subversifs :

  • Des végétariens ont un regain d'énergie : cela n'a rien à voir avec leur mode d'alimentation. Ils sont un peu fatigués : oh mais c'est normal, ils vont se rendre malades s'ils ne remangent pas de la viande bien vite.
  • Les gens qui pratiquent la permaculture ont une jolie récolte : c'était une bonne année pour le jardinage, tout le monde a eu de belles tomates, ou c'est un coup de chance. Ils se débattent au milieu des limaces : c'est normal, leur système de paillage, c'est du gros n'importe quoi!
  • Votre enfant dort comme un charme alors que vous pratiquez le cododo: c'est que vous avez de la chance, votre enfant est un dormeur né. Il a des difficultés à s'endormir : c'est de la faute du co-sleeping.

 

Lorsque nous prenons une décision à contre-courant, nous devons être prêts à en assumer les conséquences quoiqu'il arrive. Nettement plus prêts que si nous ne nous étions posés aucune question et que nous avions fait comme tout le monde. Parce que si par malheur, notre décision a des conséquences négatives, tout le monde nous montrera du doigt, à tort ou à raison d'ailleurs. Les personnes critiques envers les vaccins qui ne souhaitent pas faire tous les vaccins systématiques ou au moins en repousser certains doivent prendre conscience de cela. Si leurs enfants tombent malades à cause de cette non-vaccination, la société toute entière les accusera d'avoir pris la mauvaise décision. Si des enfants tombent malades à cause d'un vaccin, ce sera la faute à pas de chance. Cette injustice face au traitement des différentes situations est un véritable poids à porter pour tout individu qui souhaite tracer son chemin en dehors des clous.

 

Je referme cette parenthèse pour revenir à mon sujet de départ, la dissonance cognitive. Il peut donc arriver que vous ayez des réactions avec vos enfants qui vont à l'encontre de vos choix éducatifs. Soit parce que la pression de votre entourage est trop pesante, soit parce que vous reproduisez par automatisme ce que vous avez connu enfant et que votre cortex préfrontal n'a pas le temps de venir s'interposer entre vos réflexes incontrôlés et vos enfants. Cela arrive à tous les parents, qu'ils soient débutants et un peu perdus face à la nouveauté de ce monde qui s'ouvre à eux, ou qu'ils soient chevronnés depuis des années, qu'ils aient travaillé sur eux et sur leurs colères avec les meilleurs thérapeutes et fait une tonne de formations en éducation bienveillante. Cela arrive même, j'en suis persuadée, à ces grandes figures inspirantes de la parentalité dont vous lisez les livres ou dont vous regardez les conférences. Nous craquons tous de temps en temps. C'est humain. Et heureusement d'ailleurs, c'est ce qui fait que nous ne sommes pas des robots, que nous sommes perfectibles.

Selon l'attitude de nos parents au cours de notre enfance, des schémas se sont inscrits dans notre cerveau, des connexions neuronales ont même pu être endommagées si nous avons ressenti un stress intense, qu'ils nous ont crié dessus ou qu'ils nous ont frappés. La violence éducative ordinaire laisse des traces dans l'amygdale, un petit organe situé dans le cerveau, qui est le centre de l'enregistrement de la mémoire liée à la peur et à la colère. Cet enregistrement sera d'autant plus important et gravé profondément que l'enfant n'a pas eu l'occasion de verbaliser les émotions ressenties, de mettre des mots dessus pour les tenir à distance, n'a pas rencontré d'adulte bienveillant pour l'aider à traverser en douceur la violence ressentie. Or, c'est le cas d'une grande partie d'entre nous. Nous avons connu des moments incompréhensibles où nous avons eu peur de la réaction de nos parents, peur de leurs cris, de leurs mimiques, sans avoir le droit d'exprimer cette colère. Et pour traverser notre enfance sans trop d'encombres, nous avons dû nous résoudre à nier l'évidence, à nier cette émotion ressentie qui n'avait pas droit de cité, que personne n'était prêt à écouter. Nous avons dû avoir recours à la dissonance cognitive pour grandir : non, nous n'avions pas peur, pas envie de pleurer, ce n'était pas grave si papa ou maman nous disputaient, nous étions grands et nous devions nous comporter comme tels. Consciemment, nous sommes encore en tant qu'adultes souvent dans le déni de ce que nous avons connu enfant, réservant le terme de violence éducative à la violence physique brutale et qui laisse des marques physiques. Nous reléguons alors totalement au second plan la violence plus "douce" et plus retors, latente, consistant à râler, à considérer les enfants comme moins importants que les adultes, à ne pas les écouter, à leur demander de ravaler leurs sentiments, car cette violence-là, nous l'avons tous connue. Et accepter de la nommer, cela reviendrait à considérer que nous sommes tous violents, que la société entière est violente, que nos parents étaient violents et que nous le sommes également. Et c'est tout simplement trop dur. Nous nous devons de vivre dans le déni. Mais inconsciemment, notre psychisme a été touché par cette violence et c'est la raison pour laquelle nous la reproduisons une fois parents, même si nous sommes convaincus que c'est une mauvaise chose.

 

Nous commettons tous des erreurs, la parentalité bienveillante n'est pas un parcours de santé dans la société actuelle française. Nous réagissons néanmoins différemment à ces erreurs de parcours. Certains vont les utiliser pour avancer, pour travailler sur leurs réactions excessives, qui sont toujours des indices d'un trauma plus ancien caché, afin d'éviter qu'elles ne se répètent trop souvent. D'autres vont se sentir submergés par la culpabilité et éviter de les affronter par peur de ce que cela pourrait faire resurgir chez eux. D'autres encore vont subir de plein fouet les affres de la dissonance cognitive et vont chercher à expliquer ou à justifier leur comportement afin de ne pas avoir à ressentir cette culpabilité étouffante et insupportable encore une fois.

Et je crois qu'il est essentiel que nous reconnaissions tous très rapidement cette situation lorsqu'elle se présente à nous. Que nous apprenions à faire la part des choses entre la reconnaissance et l'expression de nos besoins propres de parents qui sont indispensables à notre bien-être et à celui de notre famille, et la justification de notre exaspération face à un comportement de nos enfants finalement tout à fait classique à leur âge, alors même que nous sommes théoriquement persuadés qu'un enfant de cinq ans qui renverse régulièrement son verre d'eau ou qu'un autre enfant de huit ans qui ne tient pas en place n'ont rien d'extraordinaire. J'imagine qu'une bonne partie de mes lecteurs est intimement convaincue par les principes de la parentalité positive, par le fait qu'un enfant est naturellement bon à sa naissance, que l'accueillir avec empathie et bienveillance l'aidera à développer ces capacités chez lui et à en faire un adulte responsable, sympathique et bien dans ses baskets. Je sais toutefois qu'une bonne partie d'entre vous a parfois du mal à mettre en place cet accompagnement au quotidien, que vous doutez d'être sur le bon chemin, à cause de cette dissonance cognitive qui semble simplifier le schmilblick sur le court terme, alors qu'elle vous éloigne petit à petit de la vérité, de votre vérité. Il est difficile d'être parent, quoiqu'on en pense. Nous devons composer au quotidien avec une logistique épuisante, une pression venant de toutes parts, nos peurs face à notre incompétence, à l'avenir de nos enfants, les comparaisons inévitables quand nous regardons les autres qui nous semblent toujours plus adroits et plus doués. Nous sommes livrés à nous-mêmes, emplis d'incertitudes, à tenter de créer un nouveau modèle de parentalité, généralement différent de celui que nous avons reçu, mais perdus au milieu de l'incroyable champ des possibles qui s'offrent à nous. Et seuls face à l'immensité de la tâche entreprise et des responsabilités qui nous incombent.

 

Dans de tels conditions, il est plus que compliqué de garder le cap. Pour éviter ces difficultés, entourez-vous de personnes aux valeurs proches des vôtres qui pourront vous soutenir dans les moments de doute. Ne restez pas seuls avec votre fatigue, avec vos questionnements. Simplifiez-vous la vie pour revenir aux fondamentaux. Et si le besoin s'en fait ressentir, faites-vous accompagner par un professionnel pour retrouver confiance en vous et pour travailler sur vos conditionnements parentaux et vos tropismes. Ils sont certes ancrés en vous mais il est possible de les désamorcer. Appelez-moi si vous souhaitez en savoir plus ou tournez-vous vers quelqu'un avec qui vous vous sentez en confiance. La qualité de la relation avec son thérapeute est primordiale pour que le travail se fasse efficacement et en toute conscience.

La tâche paraît parfois insurmontable mais elle ne l'est pas. Faites un premier pas, le reste suivra!

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Commentaires: 2
  • #1

    Jacques (lundi, 20 mai 2019 13:48)

    Je voulais vous remercier Madame pour la qualité de vos articles qui me touchent et m'ouvrent de nouvelles perspectives. J'espère que vous continuerez longtemps à nous enchanter avec vos réflexions. Bien à vous.
    Jacques.

  • #2

    familles-naturos (lundi, 20 mai 2019 13:50)

    Merci de votre retour.

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Certifiée Féna, la Fédération Française des Écoles de Naturopathie

 

Membre de l'OMNES, Organisation de la Médecine Naturelle et de l'Éducation Sanitaire