Syndrome du déficit de nature et autres raisons pour lesquelles notre société met la santé de nos enfants en danger

Le trouble de déficit de la nature a été théorisé en 2005 par un journaliste américain, Richard Louv, dans son ouvrage Last child in the woods : saving our children from nature-deficit disorder et depuis quelques années, cette idée fait son chemin avec la sortie de divers articles et études sur le sujet.

Ce trouble, également nommé syndrome de déficit ou de manque de nature, trouverait ses origines dans les modifications actuelles survenues au sein de nos pays industrialisés au cours des dernières dizaines d'années. Au banc des accusés siègent notamment le développement de zones urbaines souvent inadaptées, le resserrement de la cellule familiale, l'omniprésence des écrans et l'impression générale que la société est devenue plus dangereuse et plus violente qu'elle ne l'était à la génération précédente. Ces paramètres que je vais détailler en partie ci-dessous entraînent une diminution drastique du temps passé dehors à l'air libre chez les enfants, conduisant à une prévalence accrue de divers troubles du comportement et de dysfonctionnements physiques.

 

Se connecter à la nature est un besoin fondamental de l'être humain.  La flore a  une influence positive sur la santé humaine des adultes et des enfants en procurant un apaisement bénéfique et en ressourçant intensément les individus. Des recherches en sylvothérapie nous montrent que la présence des arbres a des bienfaits sur le stress, l'hypertension artérielle, le système immunitaire, mais également sur les troubles de déficit de l'attention et sur l'hyperactivité. La couleur verte a par exemple un effet apaisant sur l'organisme en régulant le système nerveux et en ralentissant le rythme cardiaque. Les phytoncides, des flavonoïdes sécrétés dans l'air par les arbres, ont des propriétés fongicides et antibactériennes, tout comme  les tanins présents dans les végétaux; ils entrent dans notre organisme par nos poumons et les pores de notre peau. Les ions négatifs, très présents dans la nature, améliorent entre autres le sommeil, la concentration et le taux de sérotonine, tout en abaissant celui de cortisol, d'adrénaline et de noradrénaline, les hormones du stress. Ils permettraient également de réduire les crises d'asthmes et d'allergies. Enfin, les terpènes, des composés organiques produits par les arbres et que nous absorbons grâce au système respiratoire stimulent notre système immunitaire et ont de nombreux effets bénéfiques sur notre organisme, au nombre desquelles se trouvent des propriétés sédatives, antalgiques, anti-inflammatoires, anti-oxydantes et antibactériennes. 

 

Tous ces bienfaits de la nature sont essentiels au développement optimal de l'être humain en construction qu'est l'enfant. Après tout, nous avons évolué au milieu d'elle et grâce à elle pendant des centaines de milliers d'années. À l'échelle paléontologique, l'exode urbain n'est pas digne d'être mentionné. Or les enfants passeraient actuellement dix fois moins de temps dehors qu'il y a trente ans. En une ou deux générations, nos modes de vie ont tellement évolué que nous nous sommes aujourd'hui complètement déconnectés de la nature qui nous entoure, de ses spécificités, de sa saisonnalité. Notre vie est devenue quasiment linéaire, nous ne nous réveillons plus avec les rayons du soleil, notre existence est aussi trépidante en hiver qu'en été, nous sommes entourés de béton, nous disposons de chauffage en hiver et de climatisation en été... Tout cela joue insidieusement sur notre chronobiologie et nous oblige à des adaptations conséquentes, potentiellement fatigantes pour l'organisme. 

 

Jouer dehors, librement, en pleine campagne, aura un impact différent du fait de jouer dans un espace clos et artificiel comme peut l'être une cour d'école, un gymnase, ou même une aire de jeux. Dehors, les enfants pourront évoluer à leur rythme, sans pression, dans un environnement varié exigeant une attention précise et affûtée pour ne pas trébucher, pour ne pas se cogner dans une branche d'arbre ou pour repérer le pic épeiche ou la cigale sur le tronc d'arbre au loin. Un lieu nivelé et quasiment nu ne pourra jamais rivaliser avec un terrain escarpé, jalonné de trous, de bosses, de bâtons, de pierres, recouvert d'herbe... Ce dernier stimule sans cesse les cinq sens (même le goût si vos enfants ont la chance de trouver des baies ou des plantes comestibles lors de leur balade) et permet aux enfants de développer et d'affiner ceux-ci en douceur. Ces apprentissages fondamentaux seront ancrés d'autant plus profondément chez les individus qu'ils ont été mis en place dans la joie et par le jeu, médium essentiel du développement de l'humain. La nature brute et première est un terrain de jeu tellement plus stimulant que ne le sera jamais n'importe quel portique ou parc municipal. Elle est un appel à la créativité, à l'imagination, au jeu, aux interactions, elle permet des découvertes aussi bien individuelles que collectives avec l'apprentissage du fonctionnement du groupe, représentation miniature de la société.

 

Ajoutons à cela que la réglementation française concernant les aires de jeux est assez contraignante en matière de sécurité, notamment par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne. Ayant vécu outre-Rhin pendant de nombreuses années, je peux concrètement comparer les infrastructures des deux pays et, pour parler franchement, il n'y a pas photo! Les aires de jeux allemandes sont nettement plus stimulantes et d'un point de vue français, bien plus "dangereuses" que ne le sont les aires de jeux françaises. Les portiques sont plus hauts, avec des passages peu sécurisés, qui permettent aux enfants de gagner en confiance en eux et en agilité. Elles sont souvent en bois brut, sans superposition de couleurs excessives et criardes, disposent régulièrement d'un point d'eau pour boire et/ou jouer et laissent la part belle à l'imagination. En France par contre, soyons réalistes, les enfants s'ennuient rapidement avec le toboggan et les deux balançoires mis à leur disposition qui ne leur permettent pas de se dépasser physiquement. Ces sorties constituent pourtant pour beaucoup les seules sorties hebdomadaires en dehors de la maison et de l'école.

 

 

En dehors du manque cruel d'interactions intellectuelles et émotionnelles avec la flore environnante rapidement évoqué ci-dessus, le déficit de nature entraîne aussi un manque d'exposition au soleil avec pour conséquence une carence en vitamine D très répandue dans nos régions. Pour rappel, la vitamine D est essentielle à la santé osseuse car elle joue un rôle primordial dans l'absorption et la fixation du calcium et du phosphore, tout en contribuant au fonctionnement optimal du système immunitaire. Elle est aussi partie prenante dans la déprime saisonnière. Elle est synthétisée sous l'action des rayons UV du soleil à partir de poissons gras, d’œufs et de produits laitiers. Les quelques minutes voire heures passées dehors entre novembre et février ne suffisent pas à produire la quantité de vitamine D nécessaire au bon développement de l'enfant sous nos latitudes. De manière indirecte, le surpoids peut également entraîner une carence car une partie de la vitamine D est stockée dans les adipocytes. Le manque de temps passé à bouger dehors pouvant engendrer une prise de poids excessive, les deux paramètres intensifient la carence potentielle en vitamine D.

 

Des études comparatives effectuées sur plusieurs générations d'enfants ont démontré que ceux-ci ont perdu de manière exponentielle en masse musculaire et en qualité osseuse. Ils souffrent en effet nettement plus fréquemment de fractures graves et ne parviennent plus à effectuer les efforts physiques que leurs parents réalisaient : ils tiennent moins longtemps pendus par les bras ou en cochon pendu, réalisent moins de tractions, courent moins vite et moins longtemps, ont moins de souffle... La fragilité osseuse ne s'explique pas seulement par la carence en vitamine D. Complémenter vos enfants ne suffirait pas. Pour bien se développer, les os ont en effet besoin de subir des efforts et des pressions réguliers: c'est en grimpant aux arbres, en portant de lourdes charges pour construire une cabane, en poussant une grosse pierre ou dévalant des pentes en courant avec un sac-à-dos rempli que vos enfants gagneront en capacités physiques. 

 

Un nouveau facteur s'immisce depuis quelques années dans l'équation: la peur des tiques. L'invasion de ces chers petites bestioles, notamment dans l'est de la France, depuis ces dix dernières années, remet en jeu la dynamique des sorties en forêt. De nombreux parents n'osent plus laisser les enfants jouer en dehors des sentiers de peur qu'ils ne se fassent piquer dans les sous-bois. Entre ces parasites et les périodes de chasse, il devient de plus en plus difficile de profiter pleinement des bienfaits que nous offre la nature. Je ne me permettrais pas de vous donner des conseils quant à la marche à suivre dans ce domaine plus que délicat. Je peux juste vous dire que je préfère personnellement continuer à sortir en forêt, en prenant toutefois quelques précautions de base, plutôt que de renoncer aux bienfaits offerts par les zones à risque. À ce sujet, vous pouvez lire cet ancien article du blog: Ail des ours et protection anti-tique.

 

 

Une des autres raisons de la diminution du temps passé dehors est la peur que les enfants fassent de mauvaises rencontres ou aient un accident en jouant hors de la maison. Qu'en est-il vraiment?

 

La télévision, la radio, les journaux écrits soumis à une restructuration indispensable due au développement vertigineux d'internet et des réseaux sociaux, la couverture médiatique des événements gérée par des intérêts financiers qui impose de mettre l'accent sur quelques occurrences choisies pour des raisons non représentatives mais économiques... tout cela donne une image déformée de la réalité. À force d'être bombardés par des informations anxiogènes et pessimistes, nous finissons par être persuadés que cette vision de l'actualité correspond à la tangibilité du monde qui nous entoure. Nous voyons celui-ci comme infiniment plus violent et dangereux qu'il ne l'est en réalité. C'est ce que certains appellent le syndrome du grand méchant monde. Cette peur irrationnelle car forgée par une accumulation dénaturée d'informations caricaturales nous pousse malheureusement à nous replier sur nous-même et à prendre des mesures de protection contre un danger qui nous paraît concret alors qu'il n'est qu'hypothétique. Baignant quotidiennement dans ce climat asphyxiant, nous avons tendance à tenir en laisse nos enfants, espérant ainsi les protéger du grand méchant loup. Alors oui, le grand méchant loup existe. Quelque part, bien caché au fond des bois, il est là, en vie. Et il lui arrive certainement de faire des incursions dans notre environnement proche. Mais celles-ci restent tellement rares que définir notre quotidien en fonction d'elles ne fait aucun sens. Les études de méta-analyse réalisée au cours de ces dernières années montrent pourtant que non seulement la société occidentale n'est pas devenue plus dangereuse qu'elle ne l'était il y a trente ou cinquante ans, mais elle est même plus sécuritaire qu'auparavant. Ces faits objectifs n'ont toutefois que peu de poids par rapport à l'influence démesurée des médias. Nous n'osons plus laisser sortir nos enfants seuls. Nous allons dorénavant les chercher à la sortie de l'école, les accompagnons systématiquement au parc, leur donnons des téléphones portables pour pouvoir les surveiller à chaque instant, nous sentant complètement démunis si nous ne savons pas constamment ce qu'ils font et où ils se trouvent. Il y a deux générations, les enfants pouvaient passer l'après-midi à faire du vélo avec leurs copains ou à pêcher au bord d'un lac sans que personne ne sache ce qu'ils faisaient exactement. Il y a une génération, les enfants rentraient de l'école à pieds seuls, dès l'école primaire. Je ne dis pas que l'ancienne version était idéale, je pense juste que la société évolue dans une direction qui n'est pas forcément la bonne. En voulant tout contrôler, en ne supportant plus la moindre anicroche, en pensant qu'il est possible de vivre en excluant les conséquences néfastes du hasard et des accidents éventuels, nous finissons par étouffer la force vitale de nos enfants. Ils ne sont pas faits pour vivre en cage mais pour tomber, se faire mal, se blesser encore et encore, jusqu'à ce qu'ils soient prêts à voler de leurs propres ailes. A nous de trouver le juste milieu pour en faire des adultes indépendants avec les pieds sur terre.

 

Je rajouterais enfin que nous avons parfois l'impression qu'il est impossible de rajouter du temps de jeu ou de promenade en extérieur dans nos emplois du temps surchargés. Il peut également arriver que les enfants n'aient pas envie de sortir, surtout s'ils sont grands et que la sortie en forêt se trouve en compétition avec quelques séances de jeux vidéos et des séries sur plateforme avec des épisodes sans fin. Lorsque nous sommes honnêtes avec nous-mêmes et que nous ne nous voilons pas la face, nous sommes souvent contraints d'admettre que nous pourrions trouver le temps si nous nous en donnions la peine, particulièrement les week-ends. Les écrans sont une vraie plaie dans ce domaine. Leur côte addictif et chronophage n'est plus à démontrer et il est essentiel de se battre au quotidien pour ne pas se laisser envahir. Notre nature d'humain nous pousse à privilégier les activités les plus simples et les moins contraignantes, même si ce ne sont pas forcément celles qui nous font du bien sur le long terme. À nous de prioriser nos besoins et nos activités.

 

Comment notre société actuelle met-elle en danger la santé de nos enfants?

 

Ce thème est tellement vaste qu'il mériterait plusieurs articles à lui tout seul et j'espère que j'aurais l'occasion et le temps d'en approfondir certains dans les mois qui viennent.

 

Je vais toutefois lister quelques-unes des principales interférences sociétales modernes avec la physiologie infantile qui me viennent à l'esprit, en dehors du trouble de déficit de la nature. Une réflexion plus développée permettrait certainement d'en trouver d'autres:

 

  • surexposition aux écrans, avec des images de plus en plus violentes et angoissantes, une banalisation de comportements excessifs, une présence exagérée dans notre quotidien, qui nous empêche de nous concentrer à 100% sur ce que nous faisons, une perte de la qualité des informations véhiculées,
  • socialisation précoce et à outrance : crèche dès quelques mois, école maternelle dès trois ans, pas de valorisation du statut des mères au foyer, isolement de celles-ci, peu de lieux de rencontres et d'échanges, difficulté à harmoniser les rôles de mère et de femme, difficulté à trouver un mode de garde adapté lorsque les deux parents désirent retourner travailler, aucune phase de transition digne de ce nom pour que l'enfant s'adapte en douceur à sa nouvelle vie,
  • diminution du temps passé avec la figure d'attachement : séparation du monde des adultes et des enfants, quasi-impossibilité de jongler entre son travail et ses enfants, horaires de travail excessifs, temps perdu dans les transports, nombre d'activités exagérées chez les enfants, quantité démesurée de devoirs à faire après une journée entière passée à l'école,
  • alimentation industrielle à base d'additifs alimentaires, de pesticides et de glucides en quantité trop importante, détériorant la santé à long terme et influençant négativement les capacités d'apprentissage des enfants : manque de produits bruts, frais et de qualité permettant une ingestion suffisante des nutriments indispensables au bon fonctionnement du corps humain qui passe alors en mode 'sur le fil du rasoir',
  • stress chronique dû à une école anxiogène et aux attentes parentales parfois déraisonnables, notes et évaluations dès le plus jeune âge contribuant à réduire la confiance en soi et la motivation intrinsèque, système de devoirs à la maison accentuant les inégalités entre les bons et les mauvais élèves et ne laissant presque pus de temps au jeu libre et à la créativité bénéfique de l'ennui,
  • hyperstimulation sonore, visuelle et olfactive dès le plus jeune âge dans un monde sans cesse en mouvement, essentiellement urbain avec des stimuli artificiels auxquels il est très difficile d'échapper,
  • pertes de repères dans un environnement surexposé avec un champ des possibles quasiment infini et qui demande une capacité de renoncement très compliqué à acquérir.

 

Cette longue liste peut faire peur. Mais comme je le dis toujours, pour pouvoir affronter un problème, il faut déjà en avoir conscience.

 

Alors profitez au maximum de la nature qui vous entoure et essayez de vivre le plus simplement possible. Comme on dit dans les pays nordiques, il n'y a pas de mauvais temps, il n'y a que des tenues inadaptées. Oui, il est possible de sortir par temps de pluie, qu'il neige ou qu'il vente, et d'y prendre plaisir. Le temps passé dans le froid devra peut-être être raccourci mais les enfants apprécient de sauter dans les flaques d'eau et ne craignent généralement ni la boue, ni la saleté. En les habituant dès le plus jeune âge à se ressourcer auprès de la nature, ils auront naturellement envie de la protéger en grandissant. Vous n'avez donc plus aucune excuse: même en automne, si vous en trouvez l'énergie, sortez vos cirés, vos bottes et partez explorer les praires, les champs et les forêts qui vous entourent.

Voici pour terminer une liste non-exhaustive de quelques ouvrages vous permettant d'approfondir la question du déficit de nature si celle-ci vous intéresse:

  • Richard Louv, Last child in the woods,
  • Richard Louv, The nature principle,
  • Angela J. Hanscom, Dehors, les enfants!,
  • Scott D. Sampson, Comment élever un enfant sauvage en ville,
  • Marie Gervais, La famille buissonnière, découvertes et activités en connexion avec la nature.
  • Laurence Monce, Ces arbres qui nous veulent du bien. À la découvertes des bienfaits de la sylvothérapie.

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