L’ambivalence de l’utilisation abusive des neurosciences dans l’éducation respectueuse

Depuis deux ou trois ans, une véritable frénésie s’empare du monde de l’éducation respectueuse. Que ce soient sur les blogs, les réseaux sociaux ou dans les interviews, tous les intervenants ponctuent leurs discours de références systématiques aux neurosciences. « Comme le montrent les neurosciences… », « Grâce aux neurosciences, nous savons désormais que... », « Les résultats d’études en neurosciences ont démontré que... ».

 

Pourquoi cette déferlante sur la blogosphère me pose-t-elle problème, alors qu’elle confirme en définitive des valeurs éducatives qui me sont chères et abonde dans mon sens ?

 

 

En nous bombardant de théories basées sur les neurosciences cognitives et sociales destinées à nous convaincre du bien fondé et de la nécessité d’éduquer nos enfants de manière bienveillante comme une vérité incontestable et inattaquable, ces articles ont souvent tendance à nous infantiliser. J’entends par là qu’ils nous remettent dans une position de soumission à un dogme faisant autorité, dogme aujourd’hui scientifique mais autrefois, de manière d’ailleurs souvent concomitante, religieux, sociétal, parental, scolaire, médical…

 

Or, les préceptes de l’éducation positive nous poussent à nous extraire de ce modèle de pensées, à développer notre esprit critique et celui de nos enfants, à remettre sans cesse en question ce qui nous entoure, ce que nous pensons juste pour découvrir ce qui l’est réellement pour nous.

Alors pourquoi, sous prétexte qu’un ou deux stagiaires ont écrit un papier signé par un professeur émérite abondant dans notre sens, sautons-nous de joie comme si nous avions trouvé le saint Graal de la parentalité et brandissons-nous à tort et à travers ce dit papier sans nous poser la moindre question sur l’étendue et la véritable portée des résultats obtenus?

 

Je ne remets pas en question l’intérêt de ces études, je dis juste qu’elles n’ont pas valeur de certitude. Loin de moi l’idée de jeter l’opprobre sur elles ; je lis généralement avec intérêt un certain nombre d’entre elles et me permet aussi d’en citer avec délectation quelques-unes à l’occasion ici et là. Mais prendre pour argent comptant ce qu’elles contiennent et établir à partir de là toute une théorie sur la manière d’accompagner ses enfants vers l’âge adulte me paraît dangereux à long terme et ceci pour diverses raisons :

 

- Il est d’abord nécessaire de se rendre compte de l’extrême simplification et vulgarisation que subisse la plupart des recherches scientifiques en général, neuroscientifiques en particulier, lorsqu’elles parviennent sur notre écran de téléphone ou d’ordinateur.

Des travaux de recherche souvent effectués pendant plusieurs années sont tout d’abord résumés en quelques pages maximum pour pouvoir être publiés dans un magazine scientifique. Ils sont généralement traduits avec plus ou moins de bonheur, une ou plusieurs fois d'affilée suivant la langue d'origine. Ils sont ensuite simplifiés pour être cités et décrits dans un paragraphe d’un livre et finissent encore une fois simplifiés à outrance sous la forme d’une ou deux phrases maximum pour figurer sur un blog d’éducation. Cette réduction ne peut se faire sans perdre une grande partie de la complexité du mécanisme décrit, ni sans risquer d’affirmer des contre-vérités à force de raccourcis sans fin.

 

- Nous ne savons à l’heure actuelle finalement que très peu de choses sur le fonctionnement du cerveau, si ce n’est qu’il est nettement plus complexe et interconnecté que nous ne le pensions il y a quelques dizaines d’années. Bien que nous en apprenions sans cesse un peu plus, il nous reste mille fois plus de questions que de réponses à son sujet. Nous en savons certes bien plus qu’hier mais nettement moins que demain. Toute affirmation à son sujet devrait donc être prise avec des pincettes, surtout lorsqu’elle n’émane que d’un nombre très limité d’études récentes.

 

- Contrairement à ce que nous imaginons souvent, les sciences ne font pas toujours preuve d’exactitude.

Au cours de son histoire, la science a asséné avec beaucoup de certitudes des inepties paraissant aujourd'hui sans fondement. Que cela passe par le mouvement des planètes, les théories dues à l’anthropomorphisme, la génération spontanée, les lobotomies pour raisons psychiques ou les théories sur l’eugénisme par exemple, ou bien plus proches de nous, les interprétations erronées quant à l’influence du cholestérol et des graisses sur les maladies cardiovasculaires...

Une bonne partie de ce en quoi nous croyons aujourd’hui sera au mieux obsolète, au pire totalement faux, demain.

 

- Il est très compliqué de mener des études en neurosciences sociales, surtout concernant les enfants.

Divers aspects entrent ici en jeu, notamment :

  • la difficulté à trouver un groupe témoin,
  • l’impossibilité d’extraire les sujets des diverses influences complexes de leur environnement,
  • le fait que les conséquences des comportements étudiées peuvent se répercuter sur plusieurs années,
  • le fait que les enfants ne puissent pas décider avec discernement s’ils désirent ou non participer à cette étude – ce sont bien évidemment leurs parents, ou les personnes ayant autorités qui prennent cette décision pour eux,
  • l’aspect moral consistant à réaliser des expériences au cours desquelles des formes de violence peuvent être pratiquées envers les enfants, ou encore à ne pas intervenir pour les aider afin de ne pas interférer dans le bon déroulement de l’expérience.

- Parler des neurosciences en général laisse en outre supposer une forme d’homogénéité dans les différentes études publiées ce qui n’est évidemment pas le cas. Certains acteurs des réseaux sociaux continuent heureusement de parler d’ « une étude scientifique réalisée par… qui a démontré que... » mais certains ne s’embarrassent malheureusement plus de détails et dans un but pourtant positif au départ, finissent par se contenter d’un pauvre « selon les neurosciences cognitives et sociales... » qui à mon avis dessert plus leur propos qu’autre chose.

 

 

Je reste persuadée que tenter de convaincre autrui à coup d’articles scientifiques ne sert à rien. D’une manière générale, chercher à convaincre autrui ne sert à rien. C’est très souvent contre-productif, comme toute forme d’injonction. Il est impossible de convaincre quelqu’un qui n’est pas prêt à l’être. Amener une personne à ouvrir sa porte pour se rapprocher de nous, pour partager notre opinion ne peut se faire que si celle-ci est préalablement d’accord pour baisser les armes. Tenter de persuader quelqu’un qui ne souhaite pas l’être de la justesse de nos positions ne peut que nous entraîner dans une bataille d’arguments sans fin. Et celle-ci se déroulera peut-être sur la base d’études scientifiques potentiellement contradictoires.

 

Je trouve personnellement dangereux de laisser à une instance extérieure quelle qu’elle soit, aussi bienveillante et positive soit-elle, le droit de nous dire ce que nous devons croire, ce que nous devons faire. Il est bien évidemment de notre devoir de nous informer du monde qui nous entoure ; nous pouvons également nous faire ponctuellement aider sur ce chemin, par le biais de lectures, de thèses sur les neurosciences, de groupes de soutien, d'amis, d'un professionnel. Le changement devrait néanmoins toujours venir de nous, de notre être profond et non de l’extérieur. C'est l'unique condition pour qu'il soit pérenne.

Il est parfois très difficile de cesser de s’en remettre aux autres pour prendre des décisions à notre place. Assumer ses ressentis, notamment face à une société souvent jugeante et critique à notre égard, n’est pas aisé, surtout lorsque nous n’avons pas été accompagnés enfant à reconnaître nos émotions et nos besoins, lorsque ceux-ci n’ont pas été entendus comme ils auraient dû l’être.

 

Mais que faire alors ? Comment s’assurer que nous sommes sur le bon chemin lorsque nous doutons ? Comment faire partager nos valeurs à notre entourage ?

 

 

Comment s'assurer que nous sommes sur le bon chemin lorsque nous doutons ?

 

  • Je pars souvent du principe que la peur est mauvaise conseillère. La joie me semble un bien meilleur baromètre. Si vous hésitez entre deux choix, deux possibilités, deux chemins à prendre, essayez de visualiser les deux. De vous représenter sur ses deux chemins dans un, deux, ou trois ans. Lequel des deux vous apporte de la joie?
  • Utiliser votre empathie pour vous mettre à la place de votre enfant, pour sentir ce qu’il ressent et pour le comprendre.
  • Avez-vous géré correctement les débordements de votre enfant? Comment en être sûr? Et bien, c'est finalement assez simple. Comment vous sentiriez-vous si un adulte, ou mieux si votre conjoint, avait agi avec vous de la même manière?
    • Accueilli, écouté, accepté? Alors, vous avez certainement agi pour le mieux.
    • Incompris, humilié, rejeté? Alors, vous n'étiez vraisemblablement pas sur le chemin de la bienveillance.
  • Réapprenez à vous connecter à votre instinct, à votre enfant intérieur. A cet instinct qui n'a pas été dénaturé par notre culture, notre société, les valeurs familiales qui nous ont été transmises. A cet instinct qui est l'essence même de notre être.

 

 Comment faire partager nos valeurs avec notre entourage ?

 

  • ne pas chercher à convaincre à tout prix
  • assumer ses choix sereinement, se respecter sans rien imposer
  • les expliquer si la question nous est posée, répondre posément aux questions de la manière la plus neutre et la plus bienveillante possible. Et rappelez-vous, le plus est l'ennemi du bien. Privilégiez les réponses courtes et écoutez votre interlocuteur, écoutez ses peurs, ses freins sans le juger, sans l'interrompre, sans le conseiller. S'il se sent entendu, il sera plus motivé à venir vers vous et à vous écouter en retour.

C'est très paradoxal et difficile à cerner, mais plus vous lâcherez prise sur votre besoin d'être compris par votre entourage, plus vous serez ancré dans vos valeurs, plus vous attirerez à vous les autres. Et grâce au fruit de votre expérience, ils découvriront un jour peut-être, seulement en passant du temps avec vous, que vous n'aviez finalement pas tort et que vos enfants ne sont pas devenus des monstres d'égoïsme qui vous mènent par le bout du nez en grandissant. Faites-vous confiance et votre entourage fera peut-être un jour de même. Mais ce choix lui appartient.

 

 

Je m’aperçois que j’aurais pu écrire le même billet sur la naturopathie et les méfaits ou les bienfaits de tel aliment ou de tel autre, même si les recherches scientifiques s’avèrent parfois un peu plus simples à mener et à interpréter dans ce domaine que dans celui de l’éducation.

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Anne (jeudi, 03 janvier 2019 13:32)

    Je suis bien d'accord avec le contenu de ton article. J'ajouterai néanmoins deux nuances:
    - les études sont intéressantes dans le sens où certaines nous permettent de valider aux yeux de l’extérieur (pour une prise en compte des politiques sur la fessée par exemple) ce que nous pouvons savoir par expérience ou en revenant à une forme de "logique" (comment apprendre nos enfants à ne pas taper/crier en tapant/criant);
    - certaines personnes très "rationnelles" ont besoin, pour que l'on commence à échanger avec eux, que l'on parle de stats, d'études... une manière d'ouvrir la porte en quelque sorte. Je me suis retrouvée face à ce genre de personnes à de nombreuses reprises et parler d'études c'est le truc qui fait entre-ouvrir la barrière. Après, je te rejoins, ce n'est pas une fin en soi à mon sens, le plus important étant de se reconnecter à son enfant et aux souvenirs que nous avions de notre enfance... pour savoir comment agir avec notre coeur.

  • #2

    familles-naturos (jeudi, 03 janvier 2019 15:00)

    Oui, bien sûr, je comprends et je crois qu'en fin de compte nous pensons plus ou moins la même chose.

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Certifiée Féna, la Fédération Française des Écoles de Naturopathie

 

Membre de l'OMNES, Organisation de la Médecine Naturelle et de l'Éducation Sanitaire